Traverser les murs

La folie, de la psychiatrie à la psychanalyse

Psychanalyste, psychiatre, membre de l’École de la cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse, Francesca Biagi-Chai a été responsable de service en hôpital psychiatrique durant de très nombreuses années. L’ouvrage est conçu sous forme d’interviews menées par deux psychologues. Il est préfacé par Jacques-Alain Miller.

Comment comprendre aujourd’hui l’institution psychiatrique ? Quelle est la fonction d’une telle institution pour le patient ? Quelle est actuellement la conception de la psychose ? De quelle manière évoluent les soins en psychiatrie ? Et quelle place tient la psychanalyse dans tout cela ?

Construisant sa pratique autour de ces diverses interrogations, Francesca Biagi-Chai apporte ici de précieuses réponses, non seulement à travers les très nombreux cas cliniques évoqués tout au long de l’ouvrage, mais aussi en expliquant comment fonctionne l’hospitalisation de jour qu’elle a créée pour offrir aux patients un « au-delà des murs ».

Lecture

Au croisement de la politique et de la clinique,Traverser les murs ouvre une autre voie que celle de l’impasse dans laquelle se trouve la psychiatrie de nos jours.

Nathalie Leveau et Elina Quinton, psychologues cliniciennes, membres de l’ACF en Val-de-Loire – Bretagne, sensibles à la richesse de la pratique clinique de Francesca Biagi-Chai en psychiatrie, ont pris la mesure de l’importance de transmettre cette expérience et ont invité Francesca Biagi-Chai à l’écrire et à la publier. Ainsi est né ce livre, écrit sous la forme d’une conversation. Témoignage fort et précieux d’un désir engagé dans la création d’une hospitalisation de jour au sein d’un service, subversion du sens de l’hospitalisation dans l’hôpital psychiatrique même. « Il fallait que l’institution devienne isomorphe au discours qui allait s’y tenir, si l’on ne voulait pas, comme dit Lacan, ridiculiser notre savoir[mfn]Biagi-Chai F., Traverser les murs. La folie, de la psychiatrie à la psychanalyse, Paris, Imago, 2020, p. 191.[/mfn]».

Psychanalyste membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association mondiale de psychanalyse, psychiatre des hôpitaux, Francesca Biagi-Chai se voue depuis plusieurs années à la tâche difficile de parler de ce qui n’est pas communicable. C’est ce que Lacan désignait, nous indique-t-elle, par « l’énigme du réel dans la psychose. Énigme qui contribue à la discrimination et à la ségrégation du sujet psychotique, tant ce réel est rebelle à la communication[mfn]Ibid., p. 74-75.[/mfn]». Francesca Biagi-Chai a notamment publié, en 2008, Le Cas Landru à la lumière de la psychanalyse.

Le présent ouvrage témoigne d’un retour de la clinique en psychiatrie grâce à l’orientation lacanienne et à l’enseignement de Jacques-Alain Miller. Chacun, professionnel ou non, pourra s’en enseigner ; autrement dit, se construire un savoir qui leur est propre à partir de ce livre. Dans l’introduction, Francesca Biagi-Chai souhaite que les lecteurs puissent y rencontrer un « écho » à leur propre savoir, le pari serait gagné. « L’écho, c’est la rencontre entre le savoir dudit spécialiste et le savoir qui s’est forgé chez chacun à partir d’une psychopathologie de la vie quotidienne des plus étonnantes[mfn]Ibid., p. 37.[/mfn]».

Francesca Biagi-Chai s’enseigne elle-même des patients dans la création de cette hospitalisation de jour particulière, pensée au cas par cas à partir de « la clinique de l’énonciation ». Ainsi de ce patient qui fait confiance à l’équipe, mais pas à l’hospitalisation dans ce qu’elle sous-tend pour lui d’enfermement, et pour lequel l’aménagement d’une alternance dedans/dehors va lui permettre de suivre les soins.

Dans ces formes d’hospitalisations de jour, il ne s’agit pas de lutter contre ce qui est souvent pointé comme le risque de « chronicité ». Au contraire, Francesca Biagi-Chai défend une « stratégie » de soin en institution favorisant un lien « à vie », c’est-à-dire « un lien qui vaut et qui tient au-delà de la personne du thérapeute[mfn]Ibid., p. 172-173.[/mfn]». Qu’est-ce qui faisait tenir le sujet avant qu’il ne soit hospitalisé, avant qu’il rencontre un moment de rupture, hors de son propre discours ? Francesca Biagi-Chai montre, avec l’appui de nombreux exemples cliniques, comment l’institution peut être « en somme, une institution devant laquelle, malgré leur présence les murs s’effacent, car elle tient compte avant tout du rapport du sujet à la parole, et aussi bien à la parole en tant qu’elle le lâche à ce moment-là […]. Un lieu qui fasse lien[mfn]Ibid., p. 187.[/mfn]».

En institution, « en s’opposant de manière arbitraire à la chronicité, on croit s’éloigner d’une impasse, mais en réalité on ne fait que détruire le transfert dont pourrait procéder une séparation de la bonne manière[mfn]Ibid., p. 170.[/mfn]». Le patient est alors confronté à un laisser tomber engendrant ce que Francesca Biagi-Chai désigne par syndrome de l’élastique. Au contraire, avec une clinique sous transfert, orientée par le sinthome, « soutenir ou lâcher [deviennent] des concepts fondamentaux de la prise en charge du sujet psychotique[mfn]Ibid., p. 194.[/mfn]».

Dans l’histoire de la psychiatrie française et au regard de la crise qu’elle traverse actuellement, le travail de Francesca Biagi-Chai, orienté par la psychanalyse, est un exemple remarquable de nouvelles perspectives où le sujet retrouve sa place au cœur du soin.

Imago

Auteur

Francesca Biagi-Chai

Rédacteur

Isabelle Magne

Éditeur

Imago

Année

2020

Pages

251 pages

Prix

22 €