Il n’y a pas de mot pour le dire

On choisit, pense-t-on, de parler la langue que l’on parle. « En fait, on ne fait que s’imaginer la choisir. […] c’est que cette langue, en fin de compte, on la crée. […] On crée une langue pour autant qu’à tout instant on lui donne un sens, […] un petit coup de pouce, sans quoi la langue ne serait pas vivante.[mfn]Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 133.[/mfn] » Ce petit coup de pouce, qui force un mot à signifier un peu autre chose que d’habitude, parce qu’il rend la langue vivante, est bel et bien réel[mfn]Cf. Laurent É., « Écriture ◊ Jouissance », Quarto, n°128, p.102 ; Miller J.-A.,  « “De l’inconscient au réel” : une interprétation », Quarto, n°91, p.64.[/mfn].

Dans la rencontre contingente avec la jouissance, chacun fait l’épreuve qu’il n’y a pas de mot pour le dire. Il lui faudra forcer la langue commune, lui donner un petit coup de pouce pour qu’elle accueille la trace de ce qui a eu lieu. La lettre est le mémorial de l’impossible à dire ce qui a lieu dans la rencontre avec la jouissance. Elle note le trou, la rature, elle désigne la trace d’une absence de signification. Elle note aussi le savoir qui s’en dépose, une fois recueillis et sériés les achoppements de la parole dans une psychanalyse. Nous renvoyons à ce propos à cette très éclairante Conférence d’Éric Laurent et à sa discussion que nous publions en fin de ce numéro (p.101-110).

En début de publication, nous reprenons l’ensemble des interventions, et leur discussion, à la dernière Question d’École sur lefake [4]. Laurent Dupont annonçait dans son argument préparatoire qu’il y serait question du statut de la vérité et de ses paradoxes à l’heure du fake (p. 9-71.).

Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est impossible matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel.


 

« La vérité tient au réel », dit Lacan, parce qu’elle achoppe à le dire. À faire sens, elle ne peut que mentir sur l’impossible à dire. Il reste que l’indicible, le hors-sens de la jouissance, insiste et se manifeste entre les lignes, il rompt la communication. C’est ce dont on fait l’épreuve dans une analyse.

À l’opposé, le fake prétend dire toute la vérité, le vrai sur le vrai, sans reste. Il réduit la vérité à son énoncé tautologique, précise Laurent Dupont (p.14). Il procède de la sorte, dit Anaëlle Lebovits-Quenehen (p.15), d’une forclusion du réel. Voilà quelques perles prélevées de cette formidable Question d’École. Vous en découvrirez bien d’autres à la lecture.

Sous ce titre, Lorsque le rêve ne prête plus à l’interprétation, nous reprenons une Soirée de la passe consacrée aux rêves de fin d’analyse. Et là, on ne peut que le constater : on ne cherche plus à donner sens aux rêves. On constate que les rêves constatent, et on s’en satisfait. Reste ensuite, pour en témoigner, à hystoriser ce qui s’est passé, non sans ce petit recul pris par rapport aux moires de la vérité.

Enfin, deux textes de ce numéro font retour sur la traversée du fantasme et le désir de l’analyste. Ils procèdent à une étude minutieuse des textes de Lacan à ce propos, tout en prenant la perspective de de son dernier enseignement.

Sommaire

Éditorial
Monique Kusnierek

Le fake ­– Question d’École 2021
Introduction – Laurent Dupont
D’un discours qui contre le fake – Anaëlle Lebovits-Quenehen
Échanges avec Éric Zuliani
« Faire vrai » – Victoria Horne Reinoso
Échanges avec Guy Briole
Parler à l’heure du fake – Francesca Biagi-Chai
Échanges avec Angèle Terrier
Décolle-ment ? – Guy Poblome
Échanges avec Lilia Mahjoub
Duplicité, leurre, tromperie – de qui se moque-t-on ? – Yves Vanderveken
Échanges avec Pascale Fari
Un vaccin contre les illusions ? – Hervé Damase
Échanges avec Laurent Dumoulin
Fake en trois dimentions – Marie-Hélène Brousse
Échanges avec Alexandre Stevens
L’éthique de la non-intention – Gil Caroz
Échanges avec Caroline Leduc
Une vérité sans fard – Bernard Lecœur
Échanges avec Carole Dewambrechies-La Sagna
« Que la vérité se spécifie d’être poétique » – Myriam Chérel
Échanges avec Anna Aromí
Un trop grand amour de la vérité – Catherine Lazarus-Matet
Échanges avec Alice Delarue
Un souffle qui vivifie – Dominique Jammet
Échanges avec Pierre-Gilles Guéguen
Pour une éthique de la vérité – Damien Guyonnet
Échanges avec Omaïra Meseguer
De la recherche de la vérité aux événements de corps indexant le réel en jeu – Marie-Claude Sureau
Échanges avec Angelina Harari
« Matériel-ne-ment » – Sophie Gayard
Échanges avec Jacqueline Dhéret
Parler, et dire le faux sur le vrai – Éric Laurent
Échanges avec Christiane Alberti

Lorsque le rêve ne prête plus à l’interprétation – Soirée de la passe
« Le monde n’est qu’un rêve de chaque corps » – Véronique Voruz
Défaire les nœuds de mon destin – Clotilde Leguil
Des rêves instruments du réveil – Myriam Chérel
Battement et palpitation – Sophie Gayard
Le nœud des rêves entre fin d’analyse et passe – Victoria Horne Reinoso
Discussion générale

Retour sur la traversée du fantasme et le désir de l’analyste
La question de la traversée du fantasme – Jean-Marc Josson
Le désir de l’analyste : « un désir inédit » ? – Philippe Stasse 

Écriture ◊ jouissance
Conférence à Bruxelles – Éric Laurent 

Auteur

Collectif

Éditeur

École de la Cause freudienne

Année

2021

Prix

18 €