Le réel, une idée limite

De nombreux textes de ce numéro abordent la question du réel. Mais qu’est-ce que le réel ? Peut-on seulement se poser cette question ? « Après tout, disait Lacan dans son Séminaire xxiii, il n’est pas sûr que ce que je dise du réel soit plus que de parler à tort et à travers.[mfn]Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 133.[/mfn]» C’est qu’à parler du réel, on tente de lui donner un sens et, du même coup, on le rate[mfn]Cf. Zenoni A., dans ce même numéro, p. 50 et sv.[/mfn].

Le réel, celui qui compte pour Lacan dans son tout dernier enseignement, son sinthome à lui comme il dit[mfn]Lacan J., Le sinthome, op. cit.[/mfn], est « une idée limite, l’idée de ce qui n’a pas de sens[mfn]Lacan J., « Propos sur l’hystérie », Bruxelles le 26 janvier 1977, Quarto, no 90, juin 2007, p. 8.[/mfn]». Cette idée limite – qui renvoie non pas au réel de la science, mais au réel de la substance jouissante – lui paraît nécessaire pour contrebalancer une pente délirante de la psychanalyse, celle qui préfère l’inconscient en tout. Il constate qu’il touche là un type de réel, un hors-sens, qui fait limite au sens, arrête la chaîne signifiante. Une idée limite qui permet de se faire aspirer plutôt par le réel que par l’inconscient ! Nous renvoyons au commentaire d’Éric Laurent à ce propos dans ce même numéro[mfn]Cf. Laurent É., dans ce même numéro, p. 84 et sv.[/mfn].

Le dernier Congrès de la nls, Effets corporels de la langue, tentait lui aussi d’apporter une limite au sens. En tout cas, il mettait à l’étude, non pas les effets de sens du signifiant, mais la marque de jouissance laissée par la langue sur le corps. Vous en découvrirez avec le plus grand intérêt quelques textes dans ce numéro.

Vous lirez également deux études minutieuses et précieuses d’Alfredo Zenoni concernant différents abords du réel par Lacan au cours de son enseignement.

Nous rassemblons, par ailleurs, dans une même partie, trois Études sur l’hystérie. Là, vous serez peut-être étonnés par le retour du même. Le même, ce sont notamment les mêmes références : entre la première étude, celle de Patricia Bosquin-Caroz, et la deuxième, celle de Yves Vanderveken, reviennent les mêmes passages des premiers Séminaires de Lacan ; entre la deuxième étude, celle de Y. Vanderveken, et la troisième, celle d’É. Laurent, reviennent les mêmes passages des tout derniers Séminaires de Lacan. Mais à faire retour, ce même, tout comme le Boléro de Ravel, gagne en intensité. Il renvoie in fine au même trait de jouissance.

Vouloir un enfant – vicissitudes. Nous reprenons ici trois textes préparatoires au dernier pipol qui interrogeait cet étrange vouloir un enfant. Étrange vouloir, puisque loin de la plénitude imaginée que serait l’arrivée d’un enfant, les vicissitudes rencontrées – fausses couches, interruptions de grossesse, difficulté à la procréation – lèvent un voile sur le réel hors sens de la conception, sur l’étrangeté pour chaque femme de porter en son sein un corps en développement[mfn]Cf. Leblanc V., dans ce même numéro, p. 94 et sv.[/mfn]. C’est ce que disait déjà Lacan en 1976 dans son Séminaire xxiv : « Dans l’utérus de la femme, l’enfant est parasite, tout l’indique, jusqu’au fait que ça peut aller très mal entre ce parasite et ce ventre.[mfn]Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre », leçon du 16 novembre 1976, texte établi par J.-A. Miller, Ornicar ?, no 12/13, décembre 1977, p. 6.[/mfn]»

Enfin, nous terminons ce numéro par une Conférence d’É. Laurent qui a fait l’argument de l’avant-dernier Congrès de la nls : L’interprétation – de la vérité à l’événement. S’y trouvent dépliés différents abords de l’interprétation par Lacan au cours de son enseignement. Ces abords de l’interprétation suivent, on ne peut que le constater, ses abords du réel. Ils vont de l’interprétation-vérité, qui fait résonner la place vide de la vérité, à l’interprétation-événement qui fait résonner le sinthome comme événement de la langue sur le corps.

Monique Kusnierek

Sommaire

Effets corporels de la langue
Textes d’orientation
Le corps marqué par la langue – Alexandre Stevens
Le corps vivant – Lieve Billiet
De l’effet traumatique de la langue à l’écriture des nœuds – Els Van Compernolle

Séquences des Analystes de l’École
Avec la participation de Laurent Dupont et Domenico Cosenza
Désincarcérée – Anne Béraud
Dé-faire la fictionDossia Avdelidi
Traces – Florencia F.C. Shanahan
Échos – Guy Poblome
L’impact d’un silence – Victoria Horne Reinoso 

Habiller le corps parlant
Vêtir le corps que l’homme a – Daniel Roy
Lol V. Stein – une robe qui fait le corps – Abe Geldhof
Qui sème le vent – une poésie de la souillure – Glenn Strubbe 

Abords du réel dans l’enseignement de Lacan
Abords du réel I – Alfredo Zenoni
Abords du réel II – Alfredo Zenoni 

Études sur l’hystérie
Dora, le père châtré et l’Autre femme – Patricia Bosquin-Caroz
La névrose hystérique, sans le père – rigidité du phallus réel – Yves Vanderveken
Reprise à l’envers des Études sur l’hystérie – Éric Laurent

Vouloir un enfant – vicissitudes
Traversée par la vie – Virginie Leblanc
De l’événement d’une ivg à l’avènement du désir d’être mère – Céline Aulit
Attente d’enfant – Carolina Koretzky 

L’interprétation
L’interprétation – de la vérité à l’événement – Éric Laurent

Auteur

Collectif

Éditeur

École de la Cause freudienne

Année

2021

Pages

128 pages

Prix

18 €