LA CAUSE DES FEMMES, « Féminismes et Psychanalyse », Séminaire de l’ACF en BFC 2022 et 2023

« Choisir la Cause des Femmes » est un mouvement féministe, fondé en 1971 par Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi et Jean Rostand, dans le but d’obtenir la dépénalisation de l’avortement, et plus largement de défendre le droit des femmes à disposer de leur corps. L’avocate Gisèle Halimi qui signa le manifeste des 343 femmes qui déclarèrent avoir avorté, obtint lors du procès retentissant de Bobigny en 1972, la relaxe d’une jeune fille de seize ans qui avait avorté après avoir été violée. Comme elle le raconte dans son livre intitulé « La cause des femmes » en 1973 (1), elle fit du procès de cette jeune femme mineure, de sa mère qui l’avait aidée à avorter et des deux autres femmes qui avaient été impliquées dans cette affaire, le procès de la loi rétrograde de 1920 sur l’avortement. Cette avancée majeure permit par la suite le vote de la loi légalisant l’avortement portée par Simone Veil en 1975.

De la « Cause des Femmes » à la « Cause freudienne », nous avons l’ambition dans ce séminaire, de mettre en lumière certains aspects des mouvements féministes à différentes époques, en regard de ce que la psychanalyse nous a appris sur les femmes, puisque, nous pouvons le dire, elles ont toujours fait cause commune, même si les féministes ont souvent récusé cette idée. Sigmund Freud a pourtant inventé la psychanalyse et découvert l’inconscient en écoutant la parole de femmes, se laissant enseigner par elles d’un savoir fondamental à partir duquel il mena toutes ses recherches sur le fait mental.

C’est aussi à cette époque que la première vague féministe s’est organisée autour de la lutte pour le droit de vote des femmes. Elle sera suivie d’une deuxième vague à partir des années 1970, dans les suites des événements de 1968. Ce sera l’époque de la naissance de multiples formations féministes qui se reconnaissaient dans des causes communes autour de « la libération de la femme ». De nombreuses intellectuelles ont pris part aux débats et aux actions qui aboutirent à de grandes avancées sociétales concernant la condition des femmes. Parmi elles, Antoinette Fouque avait créé un courant au sein du MLF, « Psychanalyse et politique » dont le mouvement se voyait comme un lien direct entre la position de l’analyste et la révolution, qui séduisit beaucoup d’analystes femmes, mais avec lequel Lacan prit ses distances, comme le précise Eric Laurent (2). De son côté, Hélène Cixous créait un département d’études féminines à Vincennes, en lien avec les Women’s Studies américaines et canadiennes et publia en 1975 un essai « Le Rire de la Méduse » (3) qui fut une contribution importante du féminisme.

Dans la mouvance de ces années agitées par une vague révolutionnaire, Jacques Lacan effectua des avancées importantes dans son enseignement avec la théorie des quatre discours dans le séminaire XVII, L’envers de la psychanalyse (5) sur la couverture duquel Jacques-Alain Miller choisit une photo de Daniel Cohn Bendit, figure emblématique de la révolte de 68. Par la suite, dans le séminaire XX, Encore (6), Jacques Lacan opéra un tournant radical dans sa doctrine en mettant aux commandes la jouissance au détriment de la fonction du Nom du Père. Élaborant une nouvelle approche de la sexuation humaine, il parvint à affirmer que tous les hommes et toutes les femmes étaient soumis à la fonction phallique mais que les femmes y sont « pas-toute » prises, augurant ainsi qu’elles ont accès à une jouissance supplémentaire de laquelle les hommes sont exclus du fait qu’ils sont, eux, « tout soumis » à la fonction phallique, faisant ainsi passer le manque côté homme alors qu’avec la doctrine freudienne il se situait côté femme. Avec Jacques Lacan, plus de manque du côté de l’organe pénien puisque tous, hommes comme femmes, possèdent le phallus. Il en déduisit que « La femme n’existe pas », thème de notre congrès de l’AMP, qui débutera à la fin du mois de mars.

Une troisième vague du féminisme commença à émerger dans les années 90 avec notamment l’influence de Judith Butler qui publia son ouvrage majeur, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité (7) imposant progressivement ce concept de genre dans le monde jusqu’à ce qu’il remplace le mot sexe. Selon Marie-Hélène Brousse (8), le concept de genre fut mis en vedette de différentes manières par le féminisme universitaire et, coupant les liens avec le sexe, il allait donner lieu à une amplification catégorielle avec la multiplication des genres LGBTQIA… à l’infini. Nous avons aujourd’hui affaire à de nombreux mouvements qui défendent les intérêts de communautés éparses qui s’opposent parfois les unes aux autres et nous essayerons de comprendre comment nous y retrouver dans la clinique avec ces nouvelles identifications qui amènent certains à dire « Je suis ce que je dis », qui fera le titre des prochaines journées de l’ECF en novembre prochain.

Maryline Rebsamen
  1. Halimi G., La cause des femmes, Éditions Gallimard, 1992.
  2. Laurent E., Parler et dire le faux sur le vrai, Intervention de Eric Laurent dans Questions d’École 2021 https://psicoanalisislacaniano.com/elaurent-parler-et-dire-faux-sur-vrai-20210123/
  3. Cixous H., Le rire de la méduse et autres ironies, Galilée, 2010
  4. De Beauvoir S., Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, 1949
  5. Lacan J., Le séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1991
  6. Lacan J., Le séminaire, livre XX, Encore, texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 1975
  7. Butler J., Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La découverte, 2019
  8. Brousse M-H., Woke ou le racisme au temps du Multiple-sans-l’Un, Lacan Quotidien N° 931 du 7 juin 2022.