Colloque de l’ACF en Voie domitienne, avec Damien Guyonnet et Clotilde Leguil, psychanalystes, membres de l’ECF.
Argument
Depuis son invention par Freud, la psychanalyse a visé le plus fondamental de la vie psychique du sujet. Subversive, elle a toujours été mise en question, mais aussi attaquée, dès ses débuts. Freud s’est attiré les foudres de ses contemporains pour avoir déplacé le curseur du sujet, d’un côté déterminé par un savoir qui ne se sait pas, et de l’autre, impacté par les échos d’un dire sur le vivant du corps.
De nos jours, la psychanalyse est toujours perçue comme menaçante. Sa subversion reste intacte et continue de déranger, du fait qu’elle ne cède pas sur ce qu’elle met en avant : ce qui échappe au savoir et au sens. Elle traverse ainsi le temps, avec pour horizon le réel en question chez l’être parlant. Le réel, inédit tranchant par rapport aux postfreudiens, concept développé par Lacan, qui en a fait la pierre angulaire de son enseignement, traduit ce qui ne s’éradique pas, ce qui insiste et ce qui résiste.
Jacques Alain-Miller, dans son cours d’orientation lacanienne, a transmis durant des années une lecture déterminante de l’enseignement de Lacan à partir du réel, conçu aussi selon lui pour traduire ce qui serait de l’ordre du « sans loi », de l’impensable, de l’impossible.
« L’avenir de la psychanalyse dépend du réel »
Prendre en compte cet impossible est bien ce qui fait que la psychanalyse reste vivante aujourd’hui. Ce réel dont il est question est au cœur de sa transmission même. Avec Lacan, elle donne une lecture du monde rompant avec la tradition qui la voudrait du côté du sens. Dans sa Troisième, Lacan affirme que « l’avenir de la psychanalyse dépend du réel ». La psychanalyse répond en effet à un réel ; on lui demande plus précisément de nous débarrasser, et du réel, et du symptôme, dit-il. Par conséquent, si elle réussit, « elle s’éteindra, de n’être qu’un symptôme oublié. Donc tout dépend de si le réel insiste. Pour ça, il faut que la psychanalyse échoue »1.
Le paradoxe est donc le suivant : en faisant l’impasse sur la tradition et en misant sur le réel même auquel elle doit faire face, la psychanalyse risque sa vie. Mais, sur le fil du rasoir d’un réel en jeu, que Lacan a mis au cœur de sa transmission, elle survit et traverse le temps, faisant de ce réel même son objet, selon les modalités contemporaines de jouissance. Dans un de ses textes majeurs, Freud proposait déjà sa lecture du malaise dans la civilisation, mettant la pulsion au centre de l’enjeu2. Il a toujours été question, en psychanalyse, d’une actualité brûlante, du sujet en tant que parlant aux prises avec le réel de son époque.
Au contraire de ce que l’on peut entendre aujourd’hui, il n’y a rien de plus contemporain que la psychanalyse. La psychanalyse se conjugue au présent et c’est ce que ce colloque va mettre au travail.
Le concept, formalisation au plus près du réel
L’inconscient, la pulsion, le fantasme… des concepts au centre de la psychanalyse auxquels Lacan est revenu de manière inédite dans son retour à Freud, faisant saillir ce que, pour lui, elle avait de plus fondamental, constituant le sel de la découverte freudienne.
En 1964, moment de son « excommunication » de l’IPA, il revient sur le contexte de cette nouvelle étape de son enseignement en reprenant les fondements de la psychanalyse, via les quatre concepts introduits par Freud3. Il y aurait eu selon lui un « maintien presque religieux » des termes avancés par Freud, sans cesse faussés depuis. Le questionnement autour du statut de la psychanalyse, par rapport à la science et à la religion, prend une place fondamentale dans le débat autour de son avenir. Lacan, à travers ces concepts et leur mise en formules logiques, apporte une réponse sans éluder cependant la question fondamentale du désir de l’analyste et de sa présence dans le « grand œuvre analytique ». Selon lui, le champ freudien dépend d’un certain désir originel, qui joue un rôle ambigu, mais prévalent, dans la transmission de la psychanalyse, conclut-il ainsi sa leçon introductive4.
De la tradition à la transmission de la psychanalyse
Il sera question d’aborder la spécificité de la transmission de la psychanalyse, qui compte en elle un réel, d’où la nécessité pointée par Lacan, que l’analyste « rejoigne la subjectivité de son époque ». Déjà en 1953, au tout début de son enseignement, Lacan s’y réfère avec ces mots, et il engage le psychanalyste à connaître bien « la spire où son époque l’entraîne dans l’œuvre continuée de Babel, et qu’il sache sa fonction d’interprète dans la discorde des langages »5. Vingt ans plus tard, Lacan parle à la télévision, deux samedis de suite, en soirée. Psychanalyse, film connu désormais sous la forme d’une publication intitulée Télévision, recèle une transmission de l’essentiel, tenant compte de ce réel : « Il n’y a pas de différence entre la télévision et le public devant lequel je parle depuis longtemps, ce qu’on appelle mon séminaire. Un regard dans les deux cas : à qui je ne m’adresse dans aucun, mais au nom de quoi je parle »6.
En la dégageant de sa tradition, Lacan a misé sur la transmission de la psychanalyse avec un style propre qui la rend aujourd’hui plus vive et vivante que jamais. Rien de plus actuel en effet que de s’orienter du réel pour tenter de cerner et traiter ce qui, de structure, insiste et réitère.
Avec la voie épistémique que prône Lacan, il nous ouvre l’accès au réel par quelque chose de transmissible à tous, par la formalisation et ses effets de savoir. C’est là-dessus que culmine tout l’effort de son enseignement jusqu’en 1967, entre « La logique du fantasme » et « L’acte psychanalytique », comme nous l’a indiqué Jacques-Alain Miller7.
La psychanalyse, interprète de la subjectivité de son époque
Durant cette journée, avec deux invités d’exception, Clotilde Leguil et Damien Guyonnet, psychanalystes à Paris, membres de l’École de la Cause freudienne et enseignants au département de Psychanalyse de l’Université Paris 8, nous parcourrons ces questions, sur fond d’une actualité éditoriale qui témoigne de cette actualité de la psychanalyse : la parution récente des livres XIV et XV du Séminaire de Jacques Lacan, La logique du fantasme et L’acte psychanalytique8.
Il s’agira, sans faire l’impasse sur les concepts fondateurs et fondamentaux, de revenir à ce qui nous préoccupe actuellement, en lien avec les nouveaux visages du malaise dans la civilisation, et de démontrer en quoi la psychanalyse est toujours à la hauteur de son enjeu majeur, se faire interprète de son époque.
1 Lacan J., La Troisième, Paris, Navarin éditeur, 2021, p. 21.
2 Freud S., Le Malaise dans la civilisation, Paris, Éditions Points, 2010.
3 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1973.
4 Ibid., p. 16.
5 Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.|
6 Lacan J., « Télévision », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, pp. 509-510.|
7 Miller J.-A., « Progrès en psychanalyse assez lents », Revue de la Cause freudienne, n° 78, 2011/2, p. 177.
8 Parus au Seuil, respectivement en 2023 et 2024.
Date et heure
Le ,
Lieu
Faculté de droit et de science politique,
14, rue du Cardinal de Cabrières,
34000 Montpellier
Autres informations
Contact : acf.dr-vd@causefreudienne.org
Site : www.acfvoiedomitienne.fr
Tarif
Normal : 40 €
Étudiants :10€