Vous avez de l’humour

Humour, comique, rire, ironie sont très proches. Les différencier nécessite beaucoup de finesse. La notion d’intentionnalité chez Lacan à l’aune de RSI permet une distinction. Consciente dans le comique qui noue Symbolique et Imaginaire. C’est le théâtre de Marivaux et de Goldoni illustrant notre XXIe siècle : les embrouilles, amoureuses et du genre, selon les lois du langage. Au ressort inconscient dans l’humour qui noue Symbolique et Réel qui est visé au-delà du langage d’un : ne pas faire obstacle au Réel. 

A l’une de mes interventions, Cécile rit bruyamment et dit : « Vous avez de l’humour ». Quand un employé ne fait pas « son travail », de simples retards, se déclenche chez elle un désordre du monde. L’équivoque « son travail », celui de l’autre devenant le sien, la plonge dans un état mélancolique grave. Elle devient « la pire » des mères, des femmes, des épouses. Si elle se plaint de son entourage, cela ne se cristallise pas en une plainte paranoïaque qui pourrait l’étayer. Si elle rejette le savoir, comme c’est l’usage dans la mélancolie, elle accepte ma question : « Qu’est-ce qui vous a contrariée ? », quand elle commence une séance par un « ça s’est aggravé » en en précisant la cause : l’entourage. Le transfert est donc bien arrimé et quand elle me pose, à ma surprise, une question : « Est-ce que mon mari peut s’améliorer ? », je lui réponds : « En vieillissant, un homme devient pire », à partir du signifiant « pire », me venant à l’esprit la réponse de madame de Merteuil à Cécile de Volanges. Cette formule l’a fait rire. Elle ira mieux et durablement. « Vous me faites rire », dit-elle. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Par mon intervention, son mari devient l’élément d’un universel où toutes les femmes sont visées. Elle n’est plus la seule femme embarrassée par l’inconsistance d’un époux. Je pensais également à une série que Freud avait proposée en 1928 comme traitement du Réel : délire, fantasme, toxicomanie, humour. C’est-à-dire comme traitement de la jouissance. Il y a chez elle, discrètement, un petit délire, une ritournelle qui tient lieu de fantasme qui la désigne comme objet d’anéantissement et qui lui évite le passage à l’acte. Quand elle rentre dans une pièce, une idée s’impose : une conduite addictive qui met en jeu un risque vital. La toxicomanie est donc présente sous la forme d’un « trop », et par les médicaments prescrits par son médecin. Traitement utile, tamponnant son angoisse et faisant lien social dans un universel – l’ensemble des femmes angoissées et apaisées par un traitement. Donc délire, toxicomanie, fantasme, mais qui ne sont pas opératoires car faisant obstacle au Réel. L’humour, lui, ne fait pas obstacle au Réel. Il le vise, selon la proposition de Jacques-Alain Miller. Il vient faire solution. Sans ironie, je n’incarne pas un Autre méchant ; dans le cadre du comique des « Liaisons dangereuses ».