Logique versus compréhension

Par Clémence Autant

Ma question de départ au sein du cartel était : De quoi s’articule la logique d’un sujet criminel ?

Grâce aux différentes lectures et aux échanges en cartel, il me semble qu’il s’agirait plutôt de différencier le moment de l’acte criminel de la temporalité du passage à l’acte, passage à l’acte étant inclus dans la logique singulière d’un sujet, le plus souvent psychotique pour les cas dont nous avons eu à parler.

D’après le cours de Francesca Biagi-Chai « Le Crime à l’ombre du Réel »[1] nous pouvons dire qu’au moment de l’acte criminel, le sujet n’y est pas. En tout cas, il n’y est plus tel qu’il était avant un certain franchissement, un « franchissement signifiant »[2] nous dit Jacques Alain Miller dans son texte Sur le concept lacanien de passage à l’acte. Parfois, cela est visible par l’entourage, quelquechose change, Pierre Rivière s’habillait en habits du dimanche attendant le moment où il pourrait sauver son père des griffes de sa mère. Richard Durn, auteur de la tuerie du Conseil municipal de Nanterre en mars 2002 était décrit par sa mère dans les semaines qui précèdent le drame comme «triste et passant tout son temps au lit, isolé dans son monde »[3]. Rosanna Morain, la présidente de la Ligue des Droits de l’homme dont R. Durn était le trésorier à partir de 2001, le rencontre un matin au marché quelques temps avant son acte et trouve qu’il « avait l’air d’aller très mal », elle dit « J’ai cru qu’il avait grossi. En fait, je crois qu’il portait déjà ses armes sur lui »[4]. En effet, il y a l’idée d’un changement d’état, d’un passage. Jacques-Alain Miller écrit «  le terme de passage à l’acte apparaît tout à fait adéquat à cet égard. Il signale qu’on quitte les équivoques, celles de la pensée, de la parole et du langage – pour l’acte »[5].

A partir d’un point de logique signifiante, la certitude et l’urgence envahissent le sujet, « un pousse-à-agir » selon les termes de Francesca Biagi-Chai qui précipitent l’individu dans l’acte. « Dans l’acte, le sujet fait l’impasse sur l’Autre. Il se soustrait à toute dialectique de reconnaissance »[6].

La temporalité de l’acte dépendra de ce qui aura valeur de signe pour un individu donné. Chez Pierre Rivière par exemple, ce seront les mots de sa grand mère, le « tu devrais l’aider » qui auront fonction de déclencheur.

La psychanalyse lacanienne, en reconstituant à posteriori les coordonnées signifiantes qui entourent le crime ou le passage à l’acte, réintroduit l’individu dans une certaine dialectique, celle de le reconnaître responsable de son acte et ainsi de ne pas le déshumaniser. C’est le sens de la phrase de Lacan « si la psychanalyse irréalise le crime, elle ne déshumanise pas le criminel »[7] dans son texte Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie. Sur la logique signifiante singulière à chaque individu une phrase dite en cartel a retenue mon attention, « il ne s’agit pas de comprendre, il ne s’agit pas du sens, mais de repérer les signifiants propres au sujet ». Cela vient en écho d’une phrase lue dans un texte de Christophe Delcourt dans le livre Comment s’orienter dans la clinique ?. « S’appliquer à ne rien y comprendre pour mieux entendre l’articulation des signifiants qui sous-tendent une demande »[8]. Dans l’acte criminel, il n’y a pas de demande, « l’acte est muet par essence »[9]. Mais on peut « s’appliquer » à y cerner quelquechose car il me semble en effet que cela demande un effort, une attention, un travail de vouloir se situer du côté de la logique comme science du réel et de ne pas se laisser prendre par le sens commun, de ne pas se laisser aller à la compréhension.


[1]Cours au programme du Campus de l’ECF en 2023-2024
[2]Miller J.-A, « Sur le concept lacanien de passage à l’acte », La Cause du Désir, p.17, n°116, 2024
[3]« Richard Durn, Itinéraire d’un tueur d’élus », Le Point, 5 avril 2002
[4]Ibid.
[5]Miller J.-A., « Sur le concept lacanien de passage à l’acte », La Cause du Désir, p.15-16 , n°116, 2024
[6]Ibid., p.16
[7]Lacan J., « Introduction théorique aux fonctions de la psychanalyse en criminologie », Ecrit, Seuil1966p.129
[8]Delcourt C., « La demande en questions », Comment s’orienter dans la clinique, Le Paon, 2018,  p.43
[9]Miller J.-A., « Sur le concept lacanien de passage à l’acte », La Cause du Désir, p. 17, n°116, 2024