Le comique du Polichinelle

Personnage de la Commedia dell’arte, Polichinelle est un valet grotesque et bouffon. Il s’inscrit plutôt dans le comique pulsionnel, comique de l’objet a[1]. Comme valet, Polichinelle sert le maître qu’il constitue comme tel selon la dialectique du maître et de l’esclave. Le valet est du côté des pulsions et des objets avec un effet comique souligné par Hegel : « il n’est pas de héros pour le valet de chambre »[2]. Sous le discours du maître et les semblants, se dévoile l’objet a. Toutefois, les valets de comédie, à la différence des esclaves, intriguent, trompent, se jouent des volontés du maître. Le valet de comédie est donc lui-aussi divisé, c’est « un coquin en lui-même duplice qui sert deux maîtres à la fois »[3] en écho à la définition du mot d’esprit par Freud. 

            Comme bouffon, Polichinelle est en place de vérité. D’ailleurs Jacques-Alain Miller dit que le mode bouffon est « le mode le plus commun de la vérité »[4]. Dans une histoire, Polichinelle est page du roi. Pour se venger d’un seigneur, habile danseur, Polichinelle dit au roi et aux membres de la cour que ce seigneur a le corps couvert de plumes. Polichinelle fait promettre à chacun de garder le secret. Ainsi, ce secret de Polichinelle est connu de tous mais personne n’en parle. Cette vérité menteuse reste voilée. Le comique repose ici sur la destitution phallique supposée sous le voile, sous la belle image du seigneur il y a une chute au niveau du corps. On retrouve l’idée que le phallus est « l’essence du comique »[5].

Dans son texte sur le symbolisme d’Ernest Jones, Lacan reprend l’étymologie du Polichinelle : petit dindon en napolitain, poussin en italien, référence à la frappe en anglais, jusqu’à l’expression « polichinelle dans le tiroir ». Lacan note : « ce sont bien les homophonies qui, pour se condenser en surimpressions, à la façon du trait d’esprit et du lapsus, nous dénoncent le plus sûrement, que c’est le phallus qu’il symbolise »[6]. Polichinelle symbolise le phallus défini alors comme signifiant de la jouissance, du désir et de la perte.

Dans « Jeunesse de Gide », Lacan évoque le rire que provoque le désespoir de Gide quand Madeleine brûle ses lettres. Ces lettres perdues, « leur nature de fétiche apparue provoque le rire qui accueille la subjectivité prise au dépourvu »[7]. La maîtrise imaginaire de Gide tombe et le statut de fétiche des lettres se dévoile, d’où le rire. Mais Lacan se demande : « Tout finit à la comédie, mais qui fera finir le rire ? »[8] La réponse est tirée d’un souvenir de Nietzsche où un moine agite un crucifix au milieu des bateleurs en criant « voilà le vrai Polichinelle ». Le phallus serait alors pour Lacan « la figure qu’offre le verbe au-delà de la comédie quand d’elle-même elle tourne à la farce »[9]. Le signifiant phallique en tant que signifiant de la perte viendrait alors clore la farce pour permettre à Gide de continuer d’écrire bien que « déchet », « déjà mort »[10] suite à la perte des lettres où il avait mis « son âme »[11].


[1] Miller J.-A., « Vicissitudes du valet », Ornicar ?, n°59, 2024, p.175.

[2] Hegel G.W.F., Phénoménologie de l’esprit,1807, cité par J.A. Miller in « Vicissitudes du valet », op. cit., p.169.
[3] Freud S., Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, cité par J.A. Miller in « Vicissitudes du valet », op. cit., p.164.
[4] Miller J.-A., « Vicissitudes du valet », op. cit., p.173.
[5] Naveau P., « La comédie du phallus », La Cause du désir, n°95, 2017, p.28.
[6] Lacan J., « À la mémoire d’Ernest Jones : Sur la théorie du symbolisme », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.715.
[7] Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.763.
[8] Ibid.
[9] Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », op. cit., p.764.
[10] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Des réponses du réel. », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, cours du 28 mars 1984, inédit.

[11] Lacan J., « Jeunesse de Gide ou la lettre et le désir », op. cit., p.763.